Roman Emperors Dir Diadumenianius
Diaduménien (217-218 ap. J.-C.)
Université Paris-IV-Sorbonne
Diadumenianus
La figure de Diaduménien accompagne ce cortège d'inconnus, de méconnus, de personnages romains sur lesquels les sources ne s'attardent que peu. Diaduménien, dont « la vie n'a rien de mémorable », comme l'annonce, dès l'ouverture de sa biographie [[1]], l'auteur de l'Histoire Auguste. Zosime, dans son Histoire nouvelle [[2]], ne cite même pas son nom, alors qu'il l'évoque de façon allusive. Mikhaïl Rostovtseff, qui consacre pourtant des développements à Macrin [[3]], ne mentionne même pas le fils de celui-ci. Les écrivains hésitent même sur son nom, Eutrope, Orose, le Pseudo-Aurelius Victor, Aurelius Victor et l'Histoire Auguste choisissant la graphie « Diadumène » contre Hérodien, Dion Cassius et les monnaies qui préfèrent « Diaduménien ». Il apparaît donc comme une personnalité marginale de l'Empire romain, terne, à vrai dire, par manque d'information, puisque les historiens considérés comme fiables, Dion Cassius [[4]], Hérodien [[5]], Orose [[6]], Eutrope [[7]], Aurélius Victor[[8]] et le Pseudo-Aurélius Victor [[9]] ne lui consacrent que quelques phrases, à peine. L'Histoire Auguste, elle, est quelque peu plus prolixe, lui consacrant une biographie entière -comme aux autres Césars. Mais ses dires sont sujets à caution [[10]]. Cependant, il semble que la Vie de Diaduménien doive être considérée comme un tournant dans l'élaboration de l' uvre [[11]] : son rôle n'est donc pas à négliger, et rendre compte de la vie de son personnage principal est nécessairement éclairant.
Diaduménien est le fils de Macrin, préfet du prétoire de Caracalla à la fin de son règne [[12]]. Selon l'Histoire Auguste [[13]], dont le témoignage, étayé par aucune autre source, semble être peu crédible [[14]], sa mère s'appellerait Nonia Celsa. En avril-mai 217, son père, dans des conditions troubles [[15]], accède à l'Empire à Zeugma, près de l'Euphrate. Macrin étant Auguste, Diaduménien devient son César, titre qu'attestent les monnaies [[16]]. Les sources diffèrent quant à son âge : pour Hérodien [[17]], il est un « enfant » (pais), suivi en cela par l'Histoire Auguste (18). Mais pour Aurelius Victor [[19]], il est un jeune homme (« adolescens »). Les monnaies, pourtant fort utiles, n'apportant pas de preuve évidente à l'une ou l'autre hypothèse [[20]], il reste à s'en remettre au texte de Dion Cassius [[21]], témoin oculaire, qui donne la date de l'anniversaire de l'enfant (le 14 septembre), ce qui permet d'affirmer qu'il a, au moment de son accession au césarat, huit ans et demi. Il s'ancre dans une tradition romaine, dans ce qu'elle a, déjà, d'idéalisé : il est inscrit au registre du patriciat [[22]], signe de noblesse et de respect du passé. Dès la prise de pouvoir de Macrin [[23]], Diaduménien devient César et princeps iuuentutis : ces deux titres prouvent tout d'abord qu'il est l'héritier de la pourpre, qu'une certaine légitimité lui est reconnue, mais aussi qu'il est l'enfant, par delà Macrin, de l'histoire romaine, puisque il reçoit un titre, -princeps iuuentutis-, qui remonte à l'époque républicaine et avait été accordé en son temps par Auguste[[24]] à ses enfants adoptifs, Gaius et Lucius. Ainsi, Diaduménien incarne-t-il à la fois les forces de renouveau de Rome et son inscription dans son passé glorieux. Les monnaies qui sont alors frappées en son nom portent comme légende de revers ou princeps iuuentutis [[25]] même ou spes publica [[26]], qui, l'une comme l'autre, témoignent de cette double tendance. Peu de temps après [[27]], il reçoit le surnom d'Antonin, qui a, lui aussi, un réel écho au point de vue de la propagande, puisque il évoque le « siècle d'or de Rome » (28), tout en maintenant la continuité avec les Sévères, en particulier avec Caracalla qui, lui aussi, portait ce nom d'Antonin. D'ailleurs, ce choix trouve son impact dans les sources, en particulier dans l'Histoire Auguste, qui consacre de larges digressions au thème du nomen Antoninorum[[29]], considérant que c'est là le point le plus important de la vie de Diaduménien, son haut fait, allant même jusques à associer dans le titre (De Diadumeno Antonino) les deux composantes de son nom. Les monnaies elles-mêmes font part à ce titre, utilisé largement peu après son accession au césarat, présent sur la majorité des exemplaires retrouvés [[30]]. Au fond, Diaduménien est le garant de l'ancienne Rome, au moment où Macrin son père est aux prises avec de difficiles combats et des décisions difficiles, notamment en ce qui concerne les Parthes.
Ainsi donc, Diaduménien, César de Rome, princeps iuuentutis, c'est-à-dire chef de ses forces vives en lien avec son père, qui régente le Sénat en tant que princeps (c'est-à-dire princeps senatus), jouit-il d'un statut particulier. Il est associé étroitement au pouvoir de son père, au moment où celui-ci tente de consolider son empire, en luttant contre et en négociant la paix avec les Parthes. En effet, la situation est très ambiguë : depuis 193, la même dynastie règne sur Rome, les Sévères, avec Septime Sévère lui-même, Geta et Caracalla, eux-mêmes associés aux Antonins qui les ont précédés. La pérennité structurelle de l'Empire risque d'être rompue par l'entrée dans le jeu public d'un homme nouveau, chevalier sur le tard, même pas sénateur, d'origine modeste [[31]]. Macrin organise donc la continuité dynastique au travers de son fils, détenteur du nomen Antoninorum, auquel, plutôt qu'à lui-même, les honneurs sont rendus [[32]], de manière à légitimer sa prise de pouvoir militaire [[33]]. Ainsi, Diaduménien apparaît-il comme un symbole fort d'un pouvoir qui organise la rupture dans la continuité. Mais il n'est que César, disposant donc d'un statut subalterne par rapport à son père, ce Marcus Opellius Antoninus Diadumenianus [[34]] au moment où Macrin considère être lui-même le centre de l'Empire, puisque il est Auguste. Cependant, la crise approche, en l'an 218, puisque un nouveau prétendant à l'Empire se fait jour, cousin de Caracalla toujours populaire au sein du peuple de Rome [[35]] et de l'armée : c'est Antoninus Bassianus, le futur Héliogabale, Syrien qui rassemble les suffrages de l'armée, les troupes se ralliant à lui contre Macrin. Pour répondre à cette situation, l'empereur désigne son fils comme co-Auguste, probablement en mai 218, au moment même de la révolte de Héliogabale. Se pose la question de la répartition symbolique des rôles, puisque, avec l'Histoire Auguste [[36]] il est permis de se demander quel est le rôle du nouvel Auguste : il semble être le garant symbolique, encore, du règne. Il s'agit de renforcer la partie « antoninienne » de l'Empire, et d'annuler son aspect de coup d'Etat, manifester la continuité sous la rupture. Nos sources sont peu éloquentes à son sujet, dans l'évocation de son statut d'Auguste, qui a surtout, semble-t-il, une fonction de propagande, pour répondre aux attaques d'Héliogabale. C'est la numismatique qui apporte des réponses aux questions que l'on peut se poser sur cette période : un denier [[37]] est frappé, au type de Diaduménien Auguste et avec pour légende de revers la felicitas temporum, la « protection divine sur notre époque », qui s'associe de manière étroite au nomen Antoninorum [[38]]. Cette nomination de Diaduménien est assumée comme politique et religieuse, comme lien dynastique en réponse à un parent de Caracalla. Mais elle trouve aussi une autre ampleur, à travers un denier méconnu [[39]], qui montre deux fonctions revêtues par Diaduménien Auguste : le tribunat de la plèbe et le pontificat. Il est ainsi lié de manière très étroite à l'ancienne Rome, à celle des Antonins, et même à la Rome qui leur est antérieure, par ses deux titres alors presque archaïques et surtout symboliques. Le fait de les représenter sur une monnaie montre combien Diaduménien est présenté comme le garant de la légitimité romaine et impériale. Ce denier inédit est la seule source concernant des titres du jeune empereur autres que celui de princeps iuuentutis.
La fin de Diaduménien est obscure : on ne sait réellement si son titre d'Auguste a été reconnu par le Sénat [[40]], même s'il est possible de supposer que oui, si l'on considère que les monnaies frappées en son nom l'ont été à Rome [[41]]. La révolte militaire d'Héliogabale s'étend, et c'est elle qui perd Macrin, capturé et mis à mort en juin 218. Les sources divergent quant au sort de son fils, du jeune et éphémère Auguste : pour Eutrope [[42]] et Hérodien [[43]], il est assassiné par les troupes avec son père, Aurelius Victor [[44]] et le Pseudo-Aurelius Victor [[45]] restant imprécis, alors que l'Histoire Auguste [[46]] disjoint de peu de temps les deux morts et que Dion [[47]] accorde des informations plus précises. Macrin aurait organisé la fuite de Diaduménien chez les Parthes, avec lesquels il avait conclu la paix mais son fils, arrêté à Zeugma, « là même où il avait été proclamé César », aurait été mis à mort. Ainsi s'achève la vie de Diaduménien, César et Auguste de Rome, symbole d'un lien entre deux mondes. Le statut de son règne est très ambigu : pour les uns [[48]], il s'agit d'une sédition militaire, pour d'autres [[49]], de la volonté de redresser Rome après le gouvernement de Caracalla. Certaines sources insistent sur la cruauté de Macrin et de son fils [[50]], même l'Histoire Auguste remarque sa beauté et son charme [[51]], dans un portrait en partie inspiré par les monnaies. Le caractère du jeune garçon est méconnu, en tout cas marqué d'ambiguïté, comme son statut dans une période elle-même d'une grande complexité.
Bibliographie :
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Dion Cassius, Roman history, books 71-80, édition d'Earnest Cary, Loeb Classical Library, Harvard University Press, Londres, 2001
Eutrope, Abrégé d'histoire romaine, édition de Joseph Hellegouarc'h, Collection des Universités de France, Paris, 2002
Hérodien, Histoire des empereurs romains, De Marc-Aurèle à Gordien III, édition de Luciano Canfora et Denis Roques, Les Belles Lettres, collection La roue à livres, Paris, 2004
Histoire Auguste, Vies de Macrin, Diaduménien, Héliogabale, édition de Robert Turcan, Collection des Universités de France, Paris, 1993
Histoire Auguste, édition d'André Chastagnol, Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1994
Ursula Kampmann, Die Münzen der römischen Kaiserzeit, Gietl-Verlag, Battenberg, 2004
Harold Mattingly, A catalogue of the Roman Coins in the British Museum, volume V, The trustees of the British Museum, Londres, 1950
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Jean-Pierre Néraudau, Auguste, La brique et le marbre, Les Belles Lettres, Paris, 1996
Orose, Histoires (Contre les païens), livre VII, édition de Marie-Pierre Arnaud-Lindet, Collection des Universités de France, Paris, 2003
Paul Petit, Histoire générale de l'Empire romain, 2. La crise de l'empire, Des derniers Antonins à Dioclétien, Le Seuil, collection Points-Histoire, Paris, 2001
Bernard Rémy, Antonin le Pieux, Le siècle d'or de Rome, 138-161, Fayard, Paris, 2005
Mikhaïl Rostovtseff, Histoire économique et sociale de l'Empire romain, édition de Jean Andreau et Odile Demange, Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1988
Ronald Syme, Historia Augusta Papers, Clarendon Press, Oxford, 1983
Zosime, Histoire nouvelle, édition de François
Paschoud, Collection des Universités de France, Paris, 2000
Notes :
[[1]] Vie de Diaduménien, I, 1
[[2]] Histoire nouvelle, I, X, 1
[[3]] Histoire économique et sociale de l'Empire romain, IX, p. 306
[[4]] Histoire romaine, lib. LXXIX, IV, 1 ;XVII, 1 ; XIX, 1 ; XX, 3-4 ; XXXIV, 2 ;XXXVII, 6 ; 39, 1 ;XL, 1-2 et 5
[[5]] Histoire des empereurs romains, V, IV, 12
[[6]] Histoires, VII, XVIII, 3
[[7]] Eutrope, Abrégé d'histoire romaine, VIII, 21
[[8]] Aurelius Victor, Livre des Césars, XXII, 1-4
[[9]] Ps. Aurelius Victor, Abrégé des Césars, XXII, 1-2
[[10]] A. Chastagnol, éd. Histoire Auguste, pp. 471-473
[[11]] R. Syme, The son of the Emperor Macrinus, in Phoenix, XXVI, et Historia Augusta Papers, p. 46
[[12]] P. Petit, Histoire générale de l'Empire romain, 2. La crise de l'empire, Des derniers Antonins à Dioclétien, 2, A, b, p. 48 sq.
[[13]] Vie de Diaduménien, VII, 5
[[14]] R. Turcan, n. éd. Histoire Auguste, p. 151
[[15]] Dion Cassius, Histoire romaine, LXXIX, XVI, 2
[[16]] H. Mattingly, Coins of the Roman Empire in the British Museum, vol. V, 82-94, pp. 508-511 et 149-164, pp. 527-529; R. Carson, Coins of the Roman Empire, p. 69
[[17]] Histoire des empereurs romains, V, IV, 12
[[18]] Vie de Diaduménien, I, 1
[[19]] Livre des Césars, XXII, 2
[[20]] R. Syme, art. cit., n. 14 p. 51
[[21]] Histoire romaine, LXXIX, XX, 1
[[23]] Selon la chronologie établie par C. Clay, The Roman Coinage of Macrinus and Diadumenian, in Numismatische Zeitschrift, 93, 1979, p. 33
[[24]] J.-P. Néraudau, Auguste, p. 218-219
[[25]] H. Mattingly, op. cit., 82-91, 149-154, 158-163
[[26]] Ibid., 92-94, 155-157, 164
[[27]] C. Clay, art. cit., p. 33
[[28]] B. Rémy, Antonin le Pieux, Le siècle d'or de Rome, 138-161, p. 285
[[29]] Vie de Diaduménien, VI-VII
[[30]] C. Clay, art. cit., ibid.
[[31]] R. Turcan, introduction à la Vie de Macrin, p. 11
[[32]] Dion Cassius, Histoire romaine, LXXIX, XVII, 1-2 et XX, 1
[[34]] A. Chastagnol, introduction à la Vie de Diaduménien, p. 471
[[36]] Vie de Diaduménien, VII, 1
[[37]] H. Mattingly, op. cit., 95, p. 511 et R. Carson, Principal Coins of the Romans, II, 732, p. 84
[[38]] Vie de Diaduménien, IV, 1 sq.
[[39]] Jean Elsen, Vente publique 81, 11 septembre 2004, 397, p. 31 ; nous nous permettons de renvoyer, en l'absence d'autre étude, à notre article Diaduménien, Auguste à contre courant : la numismatique au secours de l'Histoire, in Bulletin de la Société Française de Numismatique (à paraître)
[[40]] Pour Dion Cassius, il l'a été puisque Macrin en a informé le Sénat par lettres (LXXIX, XXXIV, 2, XXXVI, XXXVII, 5-XXXVIII, 2) ; mais André Chastagnol met de côté cette possibilité (éd. Histoire Auguste, p. 473), même s'il passe sous silence certaines preuves numismatiques
[[41]] R. Carson, op. cit., ibid.
[[42]] Abrégé d'Histoire romaine, VIII, 21
[[43]] Histoire des empereurs romains, V, IV, 12
[[44]] Livre des Césars, XXII, 4
[[45]] Abrégé des Césars, XXII, 2
[[46]] Vie de Diaduménien, IX, 4
[[47]] Histoire romaine, LXXIX, XL, 1
[[48]] Eutrope (ibid.) Histoire Auguste (Vie de Diaduménien, I, 3-II, 6), Orose, (Histoires, VII, XVIII, 3)
[[49]] Pseudo-Aurelius Victor (Abrégé des Césars, XXII, 2)
[[50]] Aurelius Victor, Livre des Césars, XXII, 3 et Histoire Auguste, Vie de Diaduménien, VIII, 3 sq.
[[51]] Vie de Diaduménien,
III, 1-4
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